Pérou : Par delà les portes en verres

Les réveils nocturnes et le sommeil qui s’achève avec un sac sur le dos face à un panneau lumineux bardé de destinations exotiques. Les sièges alignés, reliés comme les vertèbres d’un squelette exposé dans des halles gigantesques inondées de lumières. Le peuple de l’errance aux langages bigarrés, poussant des valises à roulettes, levant des yeux lourds de fatigue et d’excitation vers des horaires de vols, des portes d’embarquement. Le douanier soupçonneux, le nez en l’air dressé à humer la fraude, l’oreille élevée dans la religion de l’alarme sonore qui l’autorisera à faire passer n’importe quel quidam une seconde fois entre ses mains expertes. Les attentes, le décompte minutieux des avions qui décollent. Les mauvais cafés solubles, ces heures, ces minutes impatientes qui refusent d’avancer. Jusqu’à devenir enfin l’élu, parmi ceux qui embarquent. Les voisins voyageurs. Ceux qui palissent au décollage et ceux qui entament leur premier film sans savoir qu’ils sont déjà à 10000 mètres d’altitude. Tous unis dans la même boîte métallique. Les repas industriels suspects, la climatisation qui finit d’achever toute muqueuse encore vivante. Les turbulences aériennes et le voisin qui tente à tout prix de calmer la houle dans son verre de vin. Celui qui prie une dernière fois encore, si près du ciel, sait-on jamais… Le retour au calme, les lumières tamisées, une couverture sur les épaules, les yeux clos et le ronronnement désormais familier des gigantesques réacteurs. Voler en dormant, rêve Icaresque.

Et on s’habitue, on s’adapte aux changements sans sourciller, survolant les continents, enjambant un océan, sautant les latitudes, balayant les longitudes. Plus rien ne nous étonne.

Etrange faculté d’adaptation du genre humain….Puis vient la porte de verre, la dernière après presque vingt-quatre heures d’aérogares, de Boeing, d’Airbus, de grand chambardement.

On ne s’habitue pas à ce moment. Du moins, ne le souhaitons nous pas. Au-delà de cette porte en verre, notre imagination et nos lectures nous font miroiter l’empire Inca, les indiens Quechua, les guérilleros du sentier lumineux, des pluies de cacao crus tombant drues sur des temples en or nichés au sommet de montagnes inaccessibles. Au-delà de cette porte en verre, la raison parie sur des hordes de Taxi-Mans nous hélant et nous poussant dans des voitures hors d’âge, la pollution, le ciel plombé sur les quartiers gris de banlieues pourries et surpeuplées de Lima.

Il y a certainement un peu de tout cela, différentes teintes, plus nuancées aussi peut-être. Au delà de cette porte en verre, il y a ce que nous ne savons pas encore et que nous voulons à toute force apprendre. Bruit feutré des pans de verres qui s’ouvrent devant nous. Derrière, le confort rassurant de l’aéroport. Premiers pas dans la rue. Surtout ne jamais s’habituer à ce moment afin de pouvoir le savourer peut-être encore une prochaine fois.

A cet instant précis, le titre de l’oeuvre de Bruce Chatwin tourne en boucle dans nos têtes malmenées par l’absence de sommeil :  » Qu’est-ce que je fais là ?

« Lima, Pérou, Amérique du Sud, il est 17h00. En face, c’est l’océan Pacifique. On recommence !


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