
Il y a cette femme qui nous reconnaît. Dans cette carlingue d’avion qui peine à décoller, il y a cette femme et son fils que nous semblons connaître depuis longtemps. Elle nous parle de Montréal où elle vit aujourd’hui. Elle évoque Montpellier qu’elle a naguère aimé. Et puis le Louvre, où son fils à quatre ans, resta planté face une monumentale statue de pierre d’une civilisation millénaire. Lui, la vingtaine souriante, doit nous avouer qu’au guerrier et au Dieu de l’antiquité adorés de son enfance, il leurs préfère désormais le sourire insolent de Mona Lisa. Cette femme nous parle de sa famille, de sa mère qu’elle va retrouver dans son pays. Elle raconte les liens distendus comme des élastiques, usés par le temps et la distance. Mais elle invoque aussi ces fils qui ne rompent jamais vraiment et qu’il va bien falloir raccomoder, rabibocher. Elle nous parle de son pays où ne sied pas Montréal, où n’est pas non plus Montpellier. Elle s’emballe, ses yeux brillent et ses paroles enjouées résonnent et cognent contre les parois de l’avion lorsqu’il s’éveille en elle. On entendrait son coeur battre si les nôtres ne tapaient encore plus fort. Elle nous dit la beauté de cette ville qui fût capitale d’empire, les champs de rose parfumées d’un village de montagne et puis la douceur d’un bord de lac. Elle raconte les bazars colorés et les rues animées à la nuit tombée, les joyaux des musées et la simplicité du désert. Elle nous dit qu’elle est heureuse que nous soyons présents aujourd’hui pour partager ces lieux parce qu’elle se sent un peu seule en ce moment. Le tarmac de l’aéroport d’Amsterdam défile derrière le hublot. Nous sommes en mouvement. Si on demandait à des voyageurs les raisons de ces pérégrinations incessantes dans le monde, ils évoqueraient une sorte de féroce appétit qui les tiraillent, une curiosité insatiable, un ennui du quotidien aussi qui, s’ils n’y prenaient garde se transformeraient en un douteux confort. On répondrait certainement la même chose. On rajouterait le goût prononcé pour l’inutilité des voyages. Car ils ne servent en somme à rien sinon à nous condamner à vivre intensément chaque rencontre, chaque instant présent parce que nous les savons uniques. De l’émotion pure et haut de gamme en mouvement, c’est tout. Cette femme est notre première rencontre, la première signature émotionnelle de ce périple. Par delà le hublot, on ne distingue plus la terre. Notre route s’emballe déjà. Nous sommes partis. Sur la tablette du siège, est posé notre billet d’avion, comme pour se convaincre si besoin était, de notre prochaine destination. Il y est écrit ces quatre lettres qui composent le nom du pays de cette femme : I.R.A.N. Un peu plus tard à l’arrivée, nous connaissons les complications occasionnées par notre absence de visa. Les nombreux iraniens passent alors la douane et nous laissent seuls dans un hall glaçant au sol de marbre rutilant face à une administration glacée qui nous questionnent, nous interrogent, nous interpellent sur les raisons de notre venue. Le panache aurait voulu que nous déclamions quelques vers de Hafez de Schiraz et affirmions être ici en quête de l’or d’un poème par exemple mais dans ces moments délicats le profil le plus bas s’impose et nous rentrons rapidement dans le rang afin d’éviter un retour prématuré vers les polders néerlandais. Une heure passée à justifier toujours, à attendre patiemment puis à expliquer encore pour se voir enfin délivrer le précieux visa.
Il est 3h00 du matin, nos sacs sont sur le dos, un tour de cadran sans dormir ne nous a toujours pas fait perdre de vue l’essentiel :
Nous avons une furieuse envie de boire un thé au safran parfumé à la rose dans un jardin à Téhéran et d’y faire notre seconde rencontre.
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