
Dans l’enceinte circulaire du Zurkhaneh, les lutteurs Pahlavan s’entraînent et enchaînent les exercices sans aucune pause. Les plus anciens sur qui le poids des ans pèsent doivent déployer des trésors d’énergie afin de réussir à suivre le personnage central qui imprime un rythme poussé. Les plus jeunes, impatients de faire démonstration de témérité vont chaque fois saluer les aînés. Le zurkhaneh est une pratique de la lutte unique au monde où les exercices de force et de souplesse s’effectuent sur le son du tombak, un puissant tambour de la région.


Des chants et des poèmes accompagnent et soutiennent également les efforts des hommes. Dépassant les seules vertus d’entraînement physique, les rituels extrêmement codifiés de cette activité drainent dans leurs sillages tout un enseignement moral et éthique propre à la société Perse. Adossés aux murs de l’ancienne citerne à eau, nous sommes rapidement happés par la dimension mystique du moment. La vision de ces hommes faisant tournoyer dans les airs des sortes de quilles lourdes de plusieurs kilos, la puissance sonore des tombaks, la beauté des poèmes et des chants nous entraînent dans un monde alors totalement inconnu et génèrent en nous des émotions grisantes. Les yeux mi-clos, des images de la journée défilent et s’invitent dans la tourmente.


Les paysages de la vallée de Kharanaq remontent à la surface. Le dédale des ruelles des maisons en terre où ll fait bon se perdre dans un silence absolu pour arriver sur une terrasse dominant des champs d’arbres fruitiers. De l’autre côtés de la vallée, les plis et replis de la montagne offre à perte de vue un drapé somptueux. Plus tard, perdus au coeur de ces mêmes montagnes, le village de Chak Chak que nous gravissons jusqu’à son plus haut point afin d’atteindre une grotte sacrée, lieu de pèlerinage des zoroastriens. La légende raconte qu’une princesse Perse poursuivie par les Arabes au 7 ème siècle se réfugia à cet endroit.


Le Dieu Ahura Mazda la fit alors disparaître au yeux des assaillants en ouvrant la montagne. Depuis une source d’eau ruisselle le long de la paroi en souvenir de cet événement. Dans cette région, naissait il y a près de 3000 ans, sous un soleil aussi terrible qu’aujourd’hui, la première religion monothéiste au monde. Et si nous l’avons un peu oublié, il est néanmoins certain que la culture judéo-chrétienne s’en est inspirée quelques siècles plus tard et en a repris plusieurs principes moraux. Sur la porte qui protège l’accès à la grotte, Zarathoustra se rappelle à notre mémoire. Au coeur de ces montagnes du haut plateau iranien, un lien se crée avec notre propre histoire. Nous en sommes curieusement touchés. Les tombaks du Zurkhaneh continuent leurs oeuvres hypnotiques et pour ajouter à la perte des repères, les hommes se lancent chacun leur tour dans une danse effrénée de derviche tourneur. On ne sait plus qui, du chant ou du danseur entraîne l’autre. Une sorte d’osmose s’est formée et nous sommes projetés au coeur de cette harmonie mystique. Les tombaks se taisent, cris des hommes, le silence revient et l’arène se vide. Nous quittons à notre tour la salle, convaincus d’avoir vécu une expérience intense qui ne nous laissera pas indemme.
Dehors une tempête de sable nous rappelle la proximité immédiate du désert. Les rues se parent d’un épais brouillard tandis que le vent tourbillonne dans les ruelles de l’antique cité de Yazd. Le sable s’immisce partout et dans nos bouches, une poussière fine tapisse nos palais. Il fait presque nuit, le chant du muezzin voisin psalmodie sans discontinuer et se mue en un phare au milieu de nulle part. Les yeux, chahutés par le sable et le vent, sont forcés de se fermer. Des larmes coulent sur nos joues. Comme si la tempête s’évertuait à graver définitivement sur nos corps des images et des émotions qui désormais ne nous quitteront plus.

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