Sri Lanka : En train pour la Joie !

Un départ en train est toujours un grand événement dans un voyage. Quand nos tgv rapides visent l’efficacité et respirent la productivité, les trains d’ailleurs nous ramènent en enfance. Celle où ceux-là éveillaient et jouaient alors avec tous nos sens. Du bruit caractéristique occasionné par le passage des roues sur les jonctions des rails, aux vibrations du wagon parcourant le corps entier de hoquets convulsifs. Des odeurs de cuisine émanant de la gamelle du voisin aux cris des enfants jouant à cache-cache entre les soufflets de deux wagons, les voyages en train des pays d’ailleurs vous ramènent inéluctablement à ceux des temps d’avant.

On dit que le parcours du train qui va d’Ella à Hatton est un des plus beau du monde. Il serpente sur les crêtes des montagnes du centre du Sri Lanka entre forêts d’altitude et plantations de thé. Autrefois créé par les anglais pour transporter les précieuses feuilles de thé de Ceylan jusqu’à Colombo, il est aujourd’hui emprunté par la population pour sortir des montagnes, la route étant bien plus longue et inconfortable. Aussi, c’est tout le Sri Lanka qui se retrouve aujourd’hui dans notre wagon.

Le train est bondé et pourtant ici, nulle morosité. Les boudhistes, d’une nature plus sereine et introvertie font corps avec le mouvement du train tandis qu’une famille hindouiste imprime son propre rythme au reste du wagon. Chants et danses se succèdent sans jamais s’arrêter, accompagnés d’un petit tambour sur pied. Et pour célébrer toujours un peu plus la vie et exprimer sa joie, on tape dans les mains et sur le dossier des sièges. Le train entier se met à hurler lorsqu’il passe dans un tunnel. La peur du noir est universelle. Éclats de rire lumineux au retour de la lumière… Ici aussi, on possède des armes redoutables pour affronter ses peurs.

Reprise de plus belle des chants et des danses. Une pause. Une femme circule avec un papier journal entre les mains et nous offre un beignet aux oignons et épices parfumées. Car ici bas, tous les sens doivent rester en éveil tant que la vie… On prépare le café au sol dans la travée. Le roulis du train rend le geste imprécis et le liquide passe un peu par-dessus bord mais deux tasses nous sont malgré tout destinées. Le café chaud et sucré apaise le feu du piment du dernier samossa et nous laisse du marc de café entre les dents. Le même feu et le même grain partagés dans ce wagon avec ces inconnus désormais connus. A l’extérieur, spectacle tout aussi fascinant de pans de montagnes entièrement dédiés à la feuille de thé. Où comme dans un jardin d’ornement, chaque plan est aligné avec le suivant. Les hauteurs sont également parfaitement réglées par les cueilleuses qui, à l’aide de cannes de bambou posées sur les plants, prélèvent uniquement les jeunes pousses afin d’obtenir un thé d’excellence. Lorsque l’Homme n’a pas transformé le paysage en plantation ou en potager, une forêt peuplée d’eucalyptus démesurément hauts et de pins tout aussi gigantesques abrite en sous bois des rhododendrons sauvages. En lisière, s’épanouissent bananiers et palmiers, fougères géantes et herbes hautes rappelant si besoin, que la jungle n’est pas loin. En ligne d’horizon, la chaîne de montagne drapée d’une brume matinale, délimite les frontières de ce monde isolé.

Aux arrêts, des paysans proposent le fruit de leur maraîchage, carottes, choux, pommes de terre. On échange par la fenêtre contre quelques roupies, un panier garni. Sorte de drive local. Coup de sifflet. Un premier choc dans le dos, un grincement métallique et puis la machine s’élance, lourde, sans empressement, en balançant les voyageurs d’un bord à l’autre du wagon. Dans les descentes, le cheval de fer atteindra peut-être quarante kilomètres à l’heure. Au-delà, c’est affaire de gens pressés qui n’ont pas ici leurs places. Le vent et les herbes folles frôlent les bras pendants par la fenêtre. Un vendeur de friandises se fraie difficilement un chemin dans la foule de la travée, son panier porté à bout de bras. Les chants reprennent, la danse et le son du tambour suivent. Mouvement gracieux de la tête d’un chanteur, sourire d’une jeune fille. Un tunnel s’annonce de nouveau, nous allons bientôt hurler dans la nuit. Nous fermons les yeux afin de conserver le précieux souvenir de cet instant d’éternité. Au retour de la lumière, nos éclats de rire résonneront dans toute la montagne, comme une célébration du soleil et de la vie. En route dans ce train pour la Joie, le train le plus beau du monde, où nous sommes désormais deux de plus à posséder les armes pour affronter nos peurs.


En savoir plus sur Ribines et Godillots

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.