Sri Lanka : Une tragédie grecque

Kassapa était un fils du roi Dhatusena du royaume d’Anuradhapura. Sa mère étant une concubine, il ne pouvait, malgré sa qualité d’ainé, prétendre au trône. Malheureusement pour la suite de l’histoire, le jeune homme, doué d’une ambition dévorante, décida de contrarier le destin.

Il renversa logiquement son père, l’emmura vivant afin de rajouter la cruauté à ses nombreuses autres qualités et enfin força son frère cadet, Moggallana, prétendant légitime au trône, à un exil en Inde.

Après être devenu roi, grâce à ce subtil jeu de la chaise vide, la question sécuritaire devint l’obsession de sa gouvernance, ainsi persuadé que son vil frère, reviendrait un jour réclamer son dû.

Kassapa 1er fit alors déménager sa capitale d’Anudhapura à Sigirya, sur un rocher isolé, culminant à près de 400 mètres. Dominant ainsi toute la forêt à 360 degrés, il y régna 18 ans durant. Jusqu’au jour où sa crainte s’avèra exacte. Son petit frère, accompagné d’une armée levée en Inde, se présenta aux portes du royaume.

Kassapa pensait avoir tout envisagé pour s’assurer la tranquillité. Les défenses naturelles avaient été renforcées par des douves au bas du rocher, le sommet était approvisionné en eau. Le seul point, pourtant majeur et qui avait été omis, résidait dans l’alimentation. Les vivres n’avaient pas été prévu pour soutenir un siège.

Moggallana encercla le rocher et n’eût plus qu’à patienter un peu pour que son félon de frère se rende sans coup férir.

La dynastie retrouva son roi légitime et les affaires familiales s’apaisèrent. Jusqu’à la prochaine querelle…

Nous sommes sur le rocher voisin, également à quatre cent mètres de hauteur. Il jouxte l’ancien royaume dans le ciel de Sigirya et l’on peut admirer à loisir cette curiosité géologique en forme de bouchon, née d’une éruption volcanique.

Autour et à perte de vue, la forêt s’étend jusqu’aux contreforts des montagnes que nous avons quitté il y a quelques jours. Des étangs, comme des miroirs dans la forêt, scintillent dans la vallée, et sous la canopée, apparaît parfois en filigrane un bout de piste de latérite ocre.

De temps à autre, l’oeil butte sur un stupa à la blancheur chaulée.

Là-haut, un vent violent incite à la prudence, une chute serait fatale. On raconte d’ailleurs que les gardes de Sigirya craignaient de s’assoupir durant leur quart, sous peine de se retrouver mort quatre cent mètres plus bas. Ici, nul parapet ni ligne de vie pour vous retenir.

Postés face au vent, nous contemplons au milieu de ce décor végétal sublime, le royaume dans le ciel du roi déchu Kassapa qui devint le roi haï et légendaire de ce qui, en d’autres temps et d’autres lieux, aurait pu devenir une tragédie grecque.


En savoir plus sur Ribines et Godillots

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.