Les Kouros couchés sont ces statues abandonnées que l’on trouve au cœur de l’île de Naxos. Elles gisent au milieu de la végétation, oubliées, mortes nées. Ces pierres aux émouvants traits humains sont des ébauches de statues qui, si leur créateur n’y avait décelé une faille, seraient devenues des œuvres d’art ornant le Parthénon d’Athènes. Il y 2500 ans, relevé, dégrossi, le Kouros était descendu en bord de mer avant qu’un sculpteur, de ses mains expertes, ne l’élève au rang d’un dieu du Panthéon Grec, se muant alors en sublime objet de recueillement et d’admiration. Une ridule dans la pierre, une erreur de précision du burin, et la gloire annoncée pour cette masse de pierre finissait au tapis dans les broussailles.

Ce soir en nous promenant au pied du Parthénon, écrasant vaisseau amiral surplombant Athènes, c’est à ces Kouros que nous pensons, imaginant tout ce chemin extraordinaire qu’ils auraient dû parcourir, dévalant les montagnes de marbre des Cyclades, traversant une mer Égée éblouissante de soleil, croisant d’autres îles presque désertes piquées seulement de quelques rares villages recroquevillés, pour atteindre le port du Pirée et cet étonnant aplomb rocheux toisant l’Acropole, contemplant pour l’éternité, la mer ainsi traversée. C’est un peu ce chemin que nous aurons suivi ces derniers jours. De la Crête à Naxos, en croisant les sentiers de Santorin et Amorgos, nous avons à notre manière, connu les coups de ciseaux et de burins, avant de rejoindre le continent. Sculptés par le soleil, les pierres et les buissons épineux des montagnes, façonnés par le sel et le vent marin, nous aurons eu simplement un destin plus heureux que ces Kouros perdus pour l’éternité au fond d’une vallée sur une île de la mer Égée. Nous étions ce soir arrivés à bon port. Alors, adossés au Parthénon, nous songerons sans doute une ultime fois que nous avons fait un beau voyage et que nous en sommes bien heureux. Et puis nous reprendrons notre route.