
Pour nombre d’entre nous la première rencontre avec le nom de Sarajevo eût lieu dans un manuel d’histoire lorsque nous étions adolescents. Une gravure montrait un jeune nationaliste bosnien tirant sur l’archiduc austro-hongrois Francois-Ferdinand. On apprenait alors que la première guerre mondiale avait débuté en 1914 lors d’une journée ensoleillée de juin sur un petit pont de Sarajevo. C’était donc cela la guerre ?
Alors lorsque le train est arrivé en gare, on a réalisé que nous n’étions pas tant que cela en territoire inconnu et que le nom de Sarajevo au travers de nos rencontres et de l’actualité, nous avait accompagné de près ou de loin presque toute notre vie. Nous débarquions un soir à 20h00 sur le trottoir d’une ville pourtant jamais foulée, en disant : « On se connaît, non ? «
C’était une drôle de révélation.



L’endroit le plus surprenant et peut-être le plus emblématique de la ville est la rue principale qui en traverse son centre historique. La rue Ferhadija s’inspire d’une architecture austro-hongroise composée d’immeubles que l’on retrouve aussi bien à Vienne qu’à Prague. Trois ou quatre étages, tons pastels, hautes fenêtres, quelques bas reliefs, élégants et austères.
Et puis sans prévenir, changement d’ambiance comme si l’on se promenait dans les décors factices de tournages cinématographiques. La rue se prolonge sur Saraci. Les immeubles deviennent maisons basses au pans de bois noircis par les saisons avec au rez-de-chaussée de minuscules échoppes d’objets en cuir, d’orfèvrerie. Se profilent dans le ciel quelques minarets et les cheminées d’un hammam. L’entrée d’un bazar laisse entrevoir soies et bijoux.

Adieu vieille Europe, que le diable t’emporte, l’Orient est à ta porte…
Une promenade dans une seule rue de Sarajevo vous donne le sentiment d’être arrivé au centre du monde. Les cultures s’y croisent, s’emmêlent, prennent et apprennent de l’autre.
On a lu quelque part ce surnom de « Jérusalem de l’Europe ». Et l’on peut effectivement croiser sur un très petit périmètre une mosquée, une église orthodoxe, une cathédrale catholique et une synagogue, alors pourquoi pas ?
Ce qui est certain est que passer de Vienne à Byzance en un pas de deux est réellement déstabilisant. Nous en ferons plusieurs fois la réjouissante expérience.



Cet apparent et enthousiasmant oecuménisme ne suffit évidemment pas à masquer les fractures d’un passé récent et ne pourra faire oublier que la guerre aura frappé durement à la porte durant quatre ans, que les bombardements incessants auront détruit, saccagé et tué aveuglément, que des snipers tiraient sur quiconque tentait de franchir la rivière Miljacka où nous sommes assis à l’instant paisiblement à regarder le monde vivre. La ville est encore balafrée et il reste encore à panser. Mais Sarajevo est debout.
Car Sarajevo laisse malgré tout ce doux sentiment d’une ville posée à la campagne, surplombée de magnifiques montagnes de sapins où on y partagerait des traditions Slaves et d’Orient. Des quartiers auraient même de drôles d’air de stations de ski. On y boirait des bocks de bière Sarajevska ou des verres de yaourt fermenté en mangeant des cevapicici. Les galettes moelleuses que l’on déchirerait à la main nous laisseraient les doigts gras.
On prendrait un dernier café à la manière ottomane ou bosniaque en regardant des tramways hors d’âge nous casser les oreilles. On aurait du marc de café entre les dents, le soleil déclinerait doucement. Une belle journée.



Et ce Sarajevo nous plut ainsi comme il s’est présenté, un peu cabossé, sans doute pas complètement réparé mais apaisé et se conjuguant au pluriel.
De la page 37 du manuel d’histoire de notre adolescence à une affiche du festival de cinéma de la capitale de Bosnie épinglée dans un bureau de la faculté de Rennes, en passant par nos belles ascensions au sommet du mont Trebević qui domine la vallée, et nos errances déroutantes dans le quartier de Baščaršija, nous nous sommes rappelés que le nom de Sarajevo faisait partie inconditionnellement de notre Histoire à tous et que c’était une bonne nouvelle.




Riches de cette belle rencontre, nous avons repris le chemin des « Ailleurs », en direction des « Un peu plus loin ». Bientôt il ferait nuit, il faudrait alors monter dans un bus sans se retourner.
« Sarajevo mon amour » indiquait l’affiche du festival de cinéma que Louise nous avait envoyé ce matin depuis la Bretagne.


Il y avait comme une espèce de nostalgie qui rôdait dans l’air du soir. Peut-être devenions-nous un peu Slaves.
Nous étions repartis.
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