
Lorsque nous montons ce matin dans le fourgon, une femme nous demande notre nationalité. « Français, c’est bon » annonce-t-elle, comme si c’était une prédiction astrologique ou la prévision météo du jour. C’est déjà ça. Il est 6h30, nous quittons Shkoder pour rejoindre les montagnes. Le taxi collectif prend en charge des clients tout au long de la route qui, pour se rendre au marché, visiter un ami ou simplement aller boire un café, attendent patiemment le long des chemins que l’on s’arrête.
Après une heure de bitume puis une autre de piste en lacets, un minuscule quai d’embarquement maritime, foisonnant d’activité, annonce la fin de la route. Le lac de Koman est une retenue d’eau artificielle qui s’étend en longueur, empruntant le lit de la Drin, le plus grand fleuve d’Albanie, sur un axe nord sud durant une trentaine de kilomètres.


Les bateaux y transportent chèvres, chevaux, motos et tout autres véhicules carburant au foin ou au diesel et également quelques randonneurs innocents tournant à la bière locale pour passer le temps jusqu’au village de Fierzë, porte d’entrée des Alpes dinariques dans ce coin du monde. Une eau émeraude s’étend nonchalamment sous le regard écrasant de hautes parois abruptes de montagnes alternant au détour des virages avec les courbes douces de collines végétales. Un décor de bout du monde qui appelle à la rêverie, une navigation rythmée par le ronronnement d’un vieux diesel, les pépiements de quelques jeunes albanaises en goguettes, il y a quelque chose qui ressemblerait à une vie paisible sur un long fleuve tranquille.


Une ultime heure de piste nous dépose enfin à Valbonë, village de fond de vallée, étiré en longueur, peuplé de fermes familiales où chacun possède une vache ou deux, quelques arpents de terre et désormais quelques chambres pour héberger les marcheurs d’Albanie ou d’ailleurs. Car si notre logeuse, assise sur un trépied, trait ses vaches sous notre fenêtre, et que ses voisins ont passé l’après-midi à monter le maïs en meule à la main, l’Albanie s’ouvre désormais au monde et c’est certainement toute une ruralité qui verra probablement son mode de vie bouleversé au fil du temps. En attendant, c’est toujours le soleil qui rythme les journées dans cette vallée qui n’a pas encore cédé aux caprices du progrès ni aux exigences parfois saugrenues des touristes.
Nous projetons le lendemain, de rejoindre le village de Theth dans une vallée voisine en passant un col à pieds. L’idée prit donc corps et se réalisa. S’inviteront cependant la pluie, les orages et son lot de brouillard montagnard qui n’étaient pas prévus aux réjouissances. Ces intempéries nous feront hésiter le matin quant à la pertinence d’un départ ultérieur.
Une camionnette d’ouvriers filant sur un chantier dans les hauteurs, nous voyant irrémédiablement prendre l’eau sur la route, nous chargera dans la benne au milieu des pelles et barres à mine avant de nous laisser l’envie de faire demi-tour. Réfléchir devenait une hérésie. En avant donc puisque notre camion était avancé ! Le chemin de pierres n’en était pas un, les trous remplis d’eau nous projetait en l’air, il pleuvait à verse et nous étions visiblement heureux de débuter la journée ainsi. Après tout, à quoi bon prendre la route sans quelques imprévus ?


S’ils n’empêcheront pas la pluie torrentielle, ses ouvriers au grand coeur nous épargneront cinq kilomètres de marches sous les orages dans un lit de pierre. La pluie n’était finalement pas une si mauvaise compagne puisqu’elle avait été l’occasion d’une jolie rencontre. Nous sautions du camion et reprenions notre marche. Adieux amis, merci.


La suite de l’ascension fût moins humide. On trouva aisément la passe pour franchir le col et à 11h00, un panorama sublime sur la vallée de Theth s’offrait aux regards. Le ciel se teintait de bleu, le vent soufflait au sommet, nos vêtements sécheraient certainement durant la descente qui nous attendait. La montagne était renversante de beauté, et si les pieds étaient mouillés, les cœurs, eux, étaient légers.
A bien y réfléchir, nous vivions dans un monde parfait.



En savoir plus sur Ribines et Godillots
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.





