Albanie : Tirana ? C’est au Mexique, non ?

Quarante ans de dictature auront suffi à effacer l’Albanie de nos mémoires, jusqu’à nous en faire presque oublier qu’elle était la capitale de ce maudit pays.
Son premier ministre, Enver Hoxha, avait pris soin jusqu’à sa mort en 1985 d’en faire le pays le plus secret du monde, façon Corée du Nord européenne. Grand admirateur de Staline, une paranoïa aigüe ne l’avait pas pour autant empêché au fil des fâcheries, de rompre les relations avec ses anciens alliés de la grande internationale socialiste, la voisine yougoslave de Tito en 1948, l’URSS réformiste de Krouchtchev en 1961 et enfin la Chine maoïste en 1977.
Dans la même veine du syndrome de la peur de l’autre, 170 000 bunkers de béton et de ferraille, disséminés sur tout le territoire avaient été construit entre 1967 et 1991. Censés abriter la population en cas de conflit, Ils n’auront fait qu’épuiser les ressources humaines et économiques du pays. Ces symboles d’un pouvoir, d’une absurdité sans nom, finissent de pourrir aujourd’hui jusque dans les coins de montagne les plus reculés. 
L’ Albanie ne sera en fin de compte jamais attaquée pour la simple raison que plus personne ne savait où était ce fichu pays.

Disparue, presque effacée des mappemondes, l’Albanie était seule au monde.

A l’intérieur, Enver Hoxha surveillait, emprisonnait, torturait, massacrait méticuleusement une population terrorisée, à qui on avait même été jusqu’à ôter l’espoir d’un hypothétique monde meilleur en interdisant les religions. On avait muré les mosquées, détruit les églises orthodoxes ou catholiques, emprisonné ceux qui voulaient s’échapper par la prière tandis qu’on tirait sur les autres qui passaient les frontières. Une surveillance permanente de chacun par tous, des exercices à grande échelle de défense contre une attaque nucléaire imaginaire de l’ouest achevaient d’entrenir la population entière dans la crainte permanente de l’extérieur. On avait élevé la paranoïa au rang d’un art, au service d’une idéologie moribonde.

En 1991 le pays retrouva l’interrupteur et ralluma les lumières, la République populaire d’Albanie n’était plus. Son peuple devait de nouveau faire le difficile apprentissage de la liberté après avoir tout oublié.

Sa capitale, Tirana, au tel nom qu’on pourrait aisément l’épingler sur une planisphère, dans une lointaine province du Mexique, s’éveillait également. Elle élisait comme maire, un artiste peintre qui, sans le sou, décida de repeindre la ville en couleur. Les vieux bâtiments gris décatis furent parés de motifs géométriques et de teintes exubérantes. Les habitants s’emparèrent du sujet, préférant, l’un du bleu sur sa fenêtre, l’autre du jaune sur son balcon plutôt que du rouge ou du vert, rêvant d’un arc-en-ciel sur sa façade ou d’un personnage de bande dessinée sur son pignon. Les tiranais ne baissaient plus la tête et se promenaient à nouveau le nez en l’air.

« Le ciel, les pots de peintures et nos vies en couleurs ! » était le nouveau slogan des quartiers.

Le vent avait alors tourné. Edi Rama réorganisa un peu l’architecture de la ville. On critiqua, on encouragea, on discuta enfin et surtout. Le  mouvement était enclenché.
Le quartier Blloku, reservé auparavant aux apparatchiks et alors interdit à la population est désormais peuplé de bars aux enseignes lumineuses criardes et aux sons électroniques répétitifs. De hauts immeubles se hissent jusqu’au ciel, des arbres plantés récemment se jouent du soleil. On continue à peindre des fresques sur les murs et on ose enfin se pencher timidement sur un passé douloureux après 25 ans de silence et de tentative d’oubli.

Alors Tirana, ville aux architectures fascistes et communistes, à la mosquée ottomane et à la cathédrale orthodoxe rouvertes, à l’esthétique éclectique tout droit sortie d’un musée d’art contemporain, s’invente aujourd’hui une nouvelle histoire. La ville dérange, surprend, on aime, on déteste. Une musique rom sur la place Skanderberg est couverte par un son électronique dans le dernier bar à la mode, une pâtisserie française qui vend des gâteaux dopés au snobisme côtoie un vendeur d’épis de maïs grillés ou une échoppe de byreks traditionnels fourrés aux épinards. Tirana a fini de battre le pavé d’un seul pas. Elle se rêve New-York et Paris à la fois, elle est brouillonne, intrigante, anarchique, en chantier permanent.
On avait envie de croire que Tirana n’était plus le nom d’une bourgade inconnue dans une lointaine province mexicaine mais devenait bel et bien celui de la capitale colorée de l’Albanie. 
Et qu’on le veuille ou non, qu’on le regrette ou pas, ce que nous voyons aujourd’hui ne sera déjà plus demain. La jeunesse allait s’emparer du pavé, les gratte-ciel allaient s’élever. Dans le bruit et la fureur, Tirana en Albanie serait connue un jour du monde entier.

Allez, nos cœurs et le monde bougent !


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