Albanie : Mille regards

C’est une vallée où serpente l’Osum entre collines d’oliviers, vignobles ensoleillés et pinèdes aux arômes de thym. On approche le sud du pays et il y a dans cette contrée, quelque chose qui indubitablement vous emmène déjà un peu en Grèce.

On emprunte les sentiers de garrigues qui mène sur les hauteurs. Un vieil homme, casquette vissée sur le front, promène ses deux chèvres ou peut-être bien est-ce le contraire tant ces trois personnages marchent d’un même pas.
Sur la ligne d’horizon, l’arrête du mont Tomorr dessine une ligne blanche dans un ciel invariablement bleu. S’il s’était perdu devant cette montagne mythique pour les albanais, Cézanne aurait peut-être fait quelques infidélités à sa fameuse Sainte Victoire provençale tant chérie.

Et puis partout, ces sentiers de poussières chargés de soleil que l’on prend au hasard, ces chemins étroits bordés d’épineux qui lardent les mollets, ces reliefs escarpés qui promettent une ultime surprise à chaque virage, un point de vue derrière chaque sommet, ces routes qui n’en sont pas, qui nous perdent et nous offrent tant de splendeurs sur un plateau. Il y a là, toute la méditerranée dans un sillon. Simple, brute et tranchante.

Quand le soleil décline, que la lumière s’adoucit et se vêt de paille, on redescend vers la ville de Berat. A trop vaquer le nez en l’air, on se perd évidemment et l’on débarque curieusement de notre garrigue par le cimetière que l’on doit traverser dans toute sa longueur. On coupe ensuite par les faubourgs défavorisés de la ville où si le soleil tape fort comme partout, l’espoir, lui, y brille un peu moins qu’ailleurs.

La vieille cité de Berat tient sa particularité et son charme, de ses maisons qui, de part et d’autre de la rivière sont étagées sur la colline, toutes orientées dans la même direction. Des toits de tuiles rouge coiffent des bâtisses à deux étages, un rez-de-chaussée de pierre, l’autre peint de blanc. A cette régularité architecturale, des fenêtres en bois alignées à l’horizontale, sans volets extérieurs ont donné à la cité le surnom de ville aux mille fenêtres.

On se perd dans son labyrinthe pavé de blanc. Des escaliers irréguliers débouchent sur des ruelles étroites chaulées où les vignes étalent des grappes de raisins gourmandes sur les treillis. Une femme nous vend des confitures dans des pots sans étiquettes et nous remplit un sac de petits fruits inconnus afin de tenter de nous éclairer sur ce qu’il y a dans le pot. On ne comprend rien et à vrai dire, c’est sans importance car on savoure juste cet instant précieux et unique. Assis sur un muret, un gamin rêvassant face à la montagne, nous embarque par un escalier caché pour nous montrer son point de vue préfèré. On discute un peu, on profite surtout tous les trois de ce moment partagé à regarder le soleil se coucher sur Berat. On redescend vers la rivière en pensant à toutes ces rencontres furtives qui fabriquent nos voyages au fur et à mesure de la route et à la poésie qui en émane parfois. Il y aurait bien eu encore un poème à écrire cette fois-ci.

Le lendemain, on sera tôt sur le départ. Rien de la veille ne sera oublié, on aura tout pris, tout aimé mais la joie des départs l’emportera encore. On montera dans le premier bus qui se présentera aux aurores. Nous serons une nouvelle fois partis sans laisser d’adresse.

Mais si, par hasard à Berat, on demandait après nous, il suffira de taper au carreau. Dans la ville aux mille fenêtres, il y aura toujours un regard parmi mille autres qui saura dire : « Je les ai vus, ils sont passés ici, là, devant ma fenêtre… »


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