
Les Bouches de Kotor sont probablement le joyau le plus célèbre du Monténégro. Quatre baies maritimes cachées au pied des montagnes communiquent entre elles et l’Adriatique, par d’étroits goulots aux eaux cristallines. On parlerait de ria en Bretagne, de fjord en Norvège, les géographes évoqueraient des canyons ennoyés, les touristes s’empresseraient de timbrer en urgence des cartes postales pour signaler leurs présences dans ce lieu extraordinaire.
La côte abrite tout le long de ses rives, d’anciennes citées médiévales munies pour quelques unes, de solides forteresses de pierres parant ainsi d’éventuelles attaques d’ennemis qui auraient trouvé la passe depuis la Méditerranée. Au sud-est, tout au fond d’une baie appuyée au massif de Lovcen, s’abrite Kotor. Un repaire de pirates sous le soleil Monténégrin.


La plus ancienne cité du Monténégro dont la trace remonte à l’époque romaine au second siècle avant notre ère, a connu un destin commun à cette région du monde et aura été éprouvé comme ailleurs, par ces éternelles querelles de voisinage entre ottomans, vénitiens et austro-hongrois. Elle ira jusqu’à s’essayer à une très courte destinée bonapartiste que tout le monde aura oublié depuis.


Elle est bâtie sur une faible largeur avec une aire principale triangulaire, les pieds dans l’eau et la tête appuyée à une paroi de montagne taillée à la serpe. Sa muraille défensive s’étire sur une longueur plus conséquente et porte un étroit chemin de ronde qui surplombe la baie. Une passerelle au sud, une autre au nord enjambent des douves d’eaux translucides où paressent des dizaines de poissons peu pressés de reprendre la mer. En son sein, des ruelles étroites débouchent sur de petites places pavées de marbres blancs et parmes qui rappellent l’Italie, puis elles se dérobent à l’autre extrémité et grimpent des escaliers escarpés à l’inclinaison d’échelles de meunier pour buter enfin sur la roche brute de la montagne. Ici les venelles comme les évadés ont le choix entre se noyer ou se fracasser contre la roche.

Ne résistant pas à notre tour au plaisir d’une nouvelle évasion, nous levons les yeux au ciel et tentons notre chance par le haut. Notre échappée prend alors, dans la fraîcheur matinale, des allures de serpentines, sentiers muletiers filant en zigzag vers le sommet pour en atténuer l’effet du dénivelé, multipliant ainsi les distances mais préservant les jambes sur la durée. Derrière nous les toits de la ville s’amenuisent au fur et à mesure que nous approchons d’un soleil encore pâle. La vue sur la baie de Kotor s’élargit et motive notre envie de continuer à grimper. Chaque tournant nous paye comptant en point de vue toujours plus mirifique que le précédent. Le chemin nous fait avancer comme les bons écoliers que nous sommes, à coup de bon point. « Encore un virage et t’auras une image ! » On grimpe avec entrain, on prend les virages à la corde pour décrocher la timbale.
Kotor s’éloigne, la baie toute entière se livre au regard. La température monte plus vite que nous, l’air se réchauffe, le panorama est à chaque demi-tour de tête, une victoire sur le souffle court. On monte en silence parce qu’il n’y a rien à dire. Rien d’autre à faire que contempler et avancer, sans glisser. Simple et essentiel.
Au sommet, debout sur un promontoire minéral, après de bien belles courses menées ces derniers jours à travers les montagnes blanches de Lovcen, au gré des layons d’herbes folles et des chemins empierrés, après avoir essuyé autant d’ascensions que de dégringolades sur les falaises de calcaire, nous repensons à cet espèce de mantra qu’aimait à répéter inlassablement Michel Le Bris, « Nous sommes plus grands que nous ».

Une phrase énigmatique qui dit seulement que nous sommes tous pétris d’histoire, de culture, de musique et de littérature, de paysages et de géographies étonnantes, ”d’ailleurs” voisins ou exotiques, que nous sommes tous le fruit d’une alchimie extraordinaire, élaborée au hasard des rencontres, qui nous constitue et pourtant, nous dépasse totalement.

Et c’est vrai qu’il aura fallu déborder un peu à la marge, grimper, tomber, glisser et suer aussi, pour se retrouver ce matin bouches bées, emportés par une joie enfantine et sincère, face à ce paysage sublime de Kotor et comprendre que finalement ce monde époustouflant serait désormais un peu de nous.
Perchés à 1600 mètres, tutoyant la mer, la montagne et le ciel, nous étions effectivement plus grands que nous. Plus haut aussi.
C’était étourdissant d’être à sa place.

En savoir plus sur Ribines et Godillots
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.





