Les bois flottés de Nungwi

Le mini bus nous dépose sur le bord de la seule route asphaltée des faubourgs de Nungwi, à l’extrême nord de l’île. De minuscules commerces protégés du soleil par des toiles bricolées, proposent des fruits et des légumes en contrebas du ruban de bitume. Quatre tomates, un piment, deux oignons, un avocat, un peu de fruit du jacquier et un morceau de nougat aux dattes y sont achetés en vue du prochain repas. Ensuite nous nous enfonçons sur un chemin  perpendiculaire en terre afin de trouver de quoi loger et poser les sacs.

Nungwi est à l’origine un village de pêcheurs et puis l’ère des transhumances touristiques mondialisées a modifié en partie la physionomie de la bourgade. Aujourd’hui, on en distingue des zones de vies parallèles qui, bien que totalement perméables, semblent ne se côtoyer ou se croiser que rarement. En engageant notre balade vers la côte ouest, nous découvrons une frange de plages de sable blanc et une mer turquoise qui ferait pâlir d’envie n’importe quelle vitrine d’agence de voyage. On y croise des corps blancs huilés et inertes sur des transats en bois exotique, qui font provision en excès d’un soleil que la peau ne voit que trop rarement le reste de l’année. Parfois, un bras se lève pour aller chercher laborieusement un cocktail coloré sur la table basse en osier. Derrière des lunettes fumées, on devine les regards essayant de mémoriser cette scène idyllique, ces vacances de bout du monde qui finiront épinglées sur la porte du réfrigérateur de la maison. En arrière plan, un complexe hôtelier abrite la colonie estivale. Des gardes de sécurité en uniformes, des palissades, des clôtures et un panneau indiquant qu’au-delà de cette limite il faut s’habiller, en achèvent le décor. On saute dans l’eau tiède translucide pour enlever la pellicule de poussière de la route de ce matin et on ne s’attarde pas.


Le village de pêcheur jouxte l’autre monde, immédiatement derrière les palissades. Sur une étendue plutôt vaste, une myriade de maisons grises en parpaings et moellons borde un dédale de rues de terres cabossées où des motos et des bicyclettes circulent adroitement entre les creux, les bosses et les flaques d’eau. Sur les perrons, ce sont des femmes qui s’affairent aux activités domestiques. Deux chevreaux nous coupent la route en hurlant. Ils découvrent le monde avec le même étonnement que nous. Une épicerie avec des packs d’eau en façade, un attroupement d’enfants, des poules déplumées cherchant le grain, une jeune femme affairée au téléphone, un chien errant, des petites maisons carrées aux toits plats innombrables plantées sur des sentiers sans noms. Nous nous sommes encore perdus à force d’observation. C’est toujours la même chose, on se promet chaque fois de rester vigilant et concentré et puis la curiosité s’en mêle. On papillonne, on divague, on laisse nos pas mener la danse, le nez en l’air et l’on se perd. Irrémédiablement.

A l’horizon, une rangée de cocotiers qui dépassent largement les toits nous tire d’affaire. La mer n’est pas loin. La palme de coco sera notre cap et notre salut. L’océan est au bout, derrière les murs gris de ciment.

La plage sur laquelle nous arrivons est celle des marins et si nous ne cherchions rien, nous venions de trouver ce qui pourrait s’apparenter à une perfection esthétique. Sur une vaste étendue de sable fin, s’alignent dans un désordre presque orchestré, des pirogues à balanciers surmontées d’un petit mât de bois et d’une voile blanche retroussée. Elles donnent cette impression terriblement graphique de bois flottés échoués sur le rivage. D’autres sont amarrées à quelques encablures, cabotant sur une mer turquoise. Des hommes nichés dans des carrés de palmes bavardent tandis que quelques autres continuent à s’activer sur le bois des esquifs. Le bruit régulier du rabot et celui du marteau rythment le travail.

Sous une immense bâche orange agitée d’une brise tiède, un échafaudage abrite un boutre en cours de construction. Les planches façonnées de la coque ne connaissent encore ni la mer ni ne chargeront peut-être jamais les cargaisons d’épices mais sa seule vue suffit à nous embarquer. Loin, très loin.

Sur notre droite, peut-être une cinquantaine de jeunes gens jouent au ballon. Quelques clameurs indiquent la victoire d’un des camps.

A l’ouest le soleil s’approche de la mer, qui se teinte chaque seconde un peu plus de ce jaune paille apaisé, caractéristique des fins de journées.

Et dans ce décor somptueux d’aquarelle, lorsqu’on tend la main vers l’horizon, paume relevée vers le ciel, c’est rien de moins qu’un sentiment d’éternité que nous effleurons du bout du doigt. Infiniment beau.


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