Gaborone Station

Nous étions arrivés la veille par le bus de nuit de Kasane, le jour n’était pas encore levé. Dans ces situations, la fatigue d’un voyage mouvementé sans sommeil, le manque de réflexe au débarquement sur un trottoir inconnu, l’assaut d’une multitude de gens prêts à vous emmener n’importe où, le tout empaqueté dans une nuit apparemment sans issue, imposent généralement une relative prudence. Nous posions les sacs à la station essence du coin. Frigorifiés par les six degrés annoncés, on y trouvait un friand chaud à manger et un peu de lumière. A l’aube, on prenait la route pour traverser la ville et rejoindre notre nouvelle adresse. Marcher apportait bien souvent la solution à nos interrogations du moment. On évitait ainsi de ruminer en boucle des élucubrations du type  » Mais qu’est-ce qu’on fait là…? Il ne fallait pas prendre ce bus, si c’est pour arriver la nuit… » Et on cessait, en outre, de trembler de froid dans le matin pâle d’une nuit agitée. Le jour gagnait en intensité, nous retrouvions des couleurs.

Gaborone est une ville qui ne se visite pas. On y passe en transit pour ailleurs mais on n’y reste pas.

Capitale d’un pays de savanes et de déserts fabuleux, Gaborone se recroqueville autour d’un quartier récent d’immeubles modernes hébergeant les ministères, les bureaux d’affaires où se pressent la journée, les secrétaires et quelques grosses cylindrées rutilantes, puis se vident à 17h00 jusqu’au lendemain matin.

Autour, ceinturés et curieusement cloisonnés quasiment hermétiquement par des axes routiers, les quartiers résidentiels abritent l’essentiel de la population, quelques gargotes pour se ravitailler, des supermarchés, les écoles d’où les enfants en uniformes s’échappent à la récréation pour acheter des bonbons brillants et colorés à la paillotte de l’angle de rue.

Des billards judicieusement disposés en plein air sur les trottoirs, rassemblent toutes les générations pour quelques longues parties de jeux et de conversations presque feutrées. Gaborone est une capitale qui n’en connaît que le nom, sans vraiment d’effervescence, sans musées, sans café, presque sans statue, sans créativité apparente et sans histoire. Gaborone, on s’y ennuie vite et ferme, excepté si on aime le billard.

Et puis il y a « Gaborone Station ».

Cette gare routière d’un centre ville qui n’existe pas, est un immense parking à ciel ouvert, collé à la gare ferroviaire – elle, aux arrêts, victime de la dernière guerre sanitaire – où s’installent dans les effluves de pétrole, des vendeuses de tomates et de chips, des marchands de saucisses et de bananes. Il y a deux cents minibus, cinquante taxis, soixante-dix bus, cent rabatteurs gesticulant tels des pantins désarticulés et criant des ordres de mouvements à des troupes de voyageurs indécis, armés de bagages rafistolés et de paniers de denrées colorées. Nous passons à pied par la route principale en évitant d’être bousculés par les camions partant à pleins vers des destinations lointaines.

Nous entrons sur cette scène avec la joie et l’anxiété des acteurs montant sur les planches. On jubile, l’œil méfiant.

Il faut alors faire démonstration de finesse et d’observation, déchiffrer les pancartes déchirées, flanquées sur le tableau de bord des véhicules et surtout attendre son indic. Car dans ce fouillis formidable, où l’on se fait sans cesse héler, il faut trouver celui qui vous amènera au but final, celui qui deviendra la planche de salut qui vous sortira de ce capharnaüm gigantesque.

Thabang sera celui-là.

Il semblait avoir réussi à dénouer le nœud du problème, tout au moins partiellement. C’était presque facile, on avait subitement toutes les clés en mains !

On partait le lendemain soir à 21h00. Route de nuit, comme à l’arrivée. Destination plein ouest jusqu’au petit matin dans un village du nom de Ghanzi. Ensuite, on devrait trouver un taxico, ou un bus ou un stop pour rejoindre un lieu-dit plus petit encore, ensuite…Charles Hill avant la frontière, peut-être en auto, peut-être  selon l’heure…ensuite, ensuite…
Ces plans n’étaient pour l’heure que du sable filant entre les doigts mais on sentait qu’on allait reprendre la route et cela suffisait amplement à nous combler de joie. On trépignait déjà.

« On apprend à un enfant à dire sa profession, le résultat final et non pas le parcours. Aucun d’eux ne dit : je veux être un apprenti. Et pourtant, c’est ce que nous sommes continuellement. »

Cette profession de foi d’Erri de Luca nous collait à la peau. On s’était toujours fichu de nos plans de carrière. La seule chose qui faisait chavirer nos têtes et nos cœurs ressemblait à un sentier de terre, bordé de paysage somptueux.

Ceux qui diront de ne pas aller à Gaborone, qu’il n’y a rien, n’auront peut-être pas totalement tort. Mais nous y sommes allés et y habiterons encore un jour ou deux. Car si ce n’est pas la ville lumière rêvée, elle est source de curiosité et d’enseignement pour les deux apprentis que nous souhaitons rester.

25 degrés, sous un ciel céruléen, on marche, ce matin encore, sur la route de Gaborone et l’on se réjouit à chaque seconde, à chaque pas d’être là, en récitant comme un mantra, je suis au Botswana, l’incroyable pays des Tswana…

Thabang avait tous les plans, qui pouvait en douter ?

Ne restait plus qu’à trouver le bon pour faire ses adieux à Gaborone.


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