Une route de rien

On emprunte bien souvent à pied des chemins à priori sans talent, sans spectacle mirifique à la clé. Ce sont les ribines d’à côté, celles qu’on a sous la main, parce que le reste est trop loin sans être véhiculé. Marcher contraint les envies. Alors on emprunte ces routes de rien en se disant, on verra bien.

C’est une de celles-ci qu’on a prise ce matin. A la sortie de Walvis bay, il y a une piste qui se dirige vers des salines et une vaste lagune. Un peu plus loin, l’océan, qu’on espère pouvoir atteindre avant de devoir faire demi-tour.

L’installation industrielle de la saline n’est pas à proprement parler, le site touristique le plus visité de la Namibie. Des dunes de sel aux discrets reflets rosés attendent d’être chargées pour le port de Walvis. Sur une piste damnée, des camions vont et viennent en nous frôlant. Des véhicules tout terrain s’inquiètent de nous voir marcher. On nous demande où on va, si tout va bien. C’est étonnant cette manie de certains automobilistes de considérer comme sorcellerie le fait d’utiliser la route avec seulement une paire de chaussures. Nous aurions envie de leurs poser la même question. Après tout, ce sont peut-être eux qui ont un problème avec leurs jambes.

On marche au milieu de la mer entre une lagune peuplée de flamants roses montés sur échasses et des salines pink électriques. Des étendues blanches de sel viennent parfois distraire l’œil dans ce paysage monochrome. Les oiseaux sont si nombreux à certains endroits qu’ils paraissent en tapisser le sol intégralement. Ils fouillent sans cesse l’eau de leurs becs curieusement coudés et remuent frénétiquement le sable avec les pattes en donnant la charmante impression de danser quelques twists endiablés. Et quand ils se déplacent, la démarche lente, altière, le corps fleuri planté sur deux allumettes, c’est une leçon gracieuse qui est donnée à qui s’assied pour regarder.   

On continue, avec le sentiment d’être tombé dans le piège tant redouté de la ligne droite. Ça ne finira donc jamais. Le vent glace les oreilles et force à courber le dos. Nous aurions aimé atteindre la mer mais la distance semble la placer hors de notre portée aujourd’hui. On mange notre pain en compagnie des oiseaux et du vent qui ne laisse aucun répit.

Au loin, des camions balaient le paysage, une montagne de sel blanc dans le dos, sur un fond de relief dunaire. Il y a quelque chose de triste et désolé dans le paysage, qui impose le silence. Et puis le ciel est gris, alors on se ressert une louche de mélancolie. Une escadrille de flamants, tendus comme la flèche de l’archer dans le ciel, survole la lagune à basse altitude. On baisse la tête pour laisser passer. On a beau marcher seul, à distance du reste du monde, c’est pourtant à cet instant que l’on éprouve le sentiment de se retrouver précisément au cœur du monde. A quelques mètres, des milliers de flamants dansent et défilent sur une plaine en eau.

Nous rentrons dans l’après-midi, notre trentaine de kilomètres sous le bras, les mains dans les poches, satisfaits d’un rien, d’une route rectiligne au goût de sel sans beaucoup d’attrait et qui, pourtant, fût une belle invitation à traîner les yeux ouverts et l’esprit léger, sans autre contrainte, qu’un vent de caractère.

Ces balades futiles sans rien au bout, sont nos gloires sans fard dont on ne parlera pas, balayées bientôt par d’autres conquêtes plus flamboyantes. On s’en souviendra pourtant en secret comme une route de rien avec simplement un trait rose de flamants dans les yeux s’échappant dans un soleil bleu d’acier.


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