Kathmandu, c’est le nom suranné d’un monde de hippies noyé dans des volutes de fumées envoutantes.

Freak street, la rue des affreux, lieu magique pour les uns, maudit pour les autres a disparu aujourd’hui de la surface de la ville mythique. Dans les années soixante, les hippies déferlaient dans les ruelles sombres du petit royaume himalayen. La route des européens traversaient alors les cités fabuleuses d’Istanbul, de Kaboul ou de Lahore, se perdaient dans la mystique Varanasi pour finir par s’échouer dans la poussière de Kathmandu. On arrivait à pied, en combi Volkswagen ou même en 2cv Citroën.



On venait bien sûr pour fumer une marijuana alors légale, vendue dans des petites échoppes à Freak street au sud de Durbar Square. Mais on débarquait aussi dans ces ruelles exotiques pour échapper à un univers en guerre et rêver d’un autre monde en parlant de mai 68 et de la guerre du Vietnam. On échouait ici, bercé d’illusions plus grandes que soi et lorsqu’on y restait trop longtemps, on s’y perdait parfois, définitivement. Kathmandu, l’ensorceleuse.



Le mythe perdurera jusqu’en 1973 où, sous la pression américaine inquiète de voir sa jeunesse fuir la bannière étoilée et ses obligations guerrière, l’état népalais pénalisera la vente de drogue, au grand dam des népalais eux-mêmes pour qui le « Charas » était une tradition séculaire. Kathmandu, l’exaltée, signait dés lors son arrêt de mort, priée de cesser de rêver trop haut. Fin de voyage pour cette jeunesse forcenée qui à trop vouloir se plonger dans une quête éperdue de liberté teintée d’un mysticisme oriental et dans d’épaisses fumées hallucinantes s’était souvent perdue dans les ruelles miséreuses de la capitale, enfoncée dans l’enfer de la drogue et les désillusions trop brutales. Ceux qui partiraient à temps retrouveraient le Larzac et les grands espaces américains, emportant dans leurs besaces en Occident quelques bribes de bouddhismes, deux ou trois rituels hindouistes et le souvenir d’un paradis perdu.

Kathmandu étaient désormais associés pour l’éternité aux immortels Kerouac, Morrison ou Hendrix. Barjavel racontait en France l’impossible quête, Cat Steven chantait l’Eden rêvée :
« Je suis assis à côté de l’obscurité
Sous la boue
Jour gris et poussiéreux froid
Le lac du matin
Boit le ciel
Kathmandu je te verrai bientôt
Et ton étrange temps déconcertant
Me retiendra
Passe-moi mon chapeau et mon manteau…
…Kathmandu je vais bientôt te toucher
Et ton étrange temps déconcertant
Me retiendra… »
La beat génération de Ginsberg et Burroughs qui sillonnait inlassablement la route entre New-York et San Francisco s’était percutée sur les contreforts de l’Himalaya dans un océan de fumées hallucinogènes et de rêves démesurés, trop grands pour quelques jeunes gens trop curieux. Drôle de légende pour un petit royaume himalayen qui lui colle encore aux semelles dans le monde entier.



Durbar Square, est le centre historique de la ville. Lieu de passage inévitable, il rassemble l’essentiel des bâtiments historiques de la cité, bâtis par la dynastie Shah au dix-septième siècle. Au cœur de la capitale, on se retrouve sur la grande place rectangulaire au milieu des vendeurs ambulants de bijoux et d’objets archéologiques. Les façades des temples et immeubles, quand ils ne se sont pas effondrés lors du séisme de 2015, sont soutenus ad vitam æternam, par des étais en bois ou en métal fichés dans le sol et semblent pencher dangereusement vers l’avant.






L’agitation permanente qui se perd dans les ruelles adjacentes y est malgré tout agréable et il fait bon déambuler en suivant les cyclopousses chargés de friperies, en se laissant guider par les fumées âcres des échoppes de bouches. Un peu plus loin, la viande étalée dans la rue sur les rebords de minuscules commerces trouve preneur tout au long de la journée, un étal de poisson marque sa différence, des vendeurs ambulants promènent sur leurs vélos titubants de lourdes cargaisons de pommes et de bananes, une balance sur le guidon.




Une rue encore plus loin aligne les machines à coudre sur les pas de portes, occupées à contrefaire les derniers modèles des marques à la mode de vêtements. Ils seront quelques heures plus tard mis à la vente dans le quartier touristique de Thamel. Les scooters adroits filent entre les piétons nonchalants sans heurter un bras ni écraser un pied, malgré l’étroitesse des passes. La fluidité est de mise et on se glisse aisément, avec un plaisir certain dans cette vie citadine intense et brouillonne.



L’autre quartier du centre est Thamel. Lorsque vous marchez à la périphérie de la ville, tous les taxis, qui ne comprennent pas ce que vous faites ici, vous interpelleront avec cet unique mot « Thamel » à la bouche car c’est là que les touristes en principe se regroupent. Quartier de guesthouses, d’hôtels en tout genre, les vitrines alignent les restaurants népalais ou indiens, explorent une nourriture plus exotique italienne, américaine ou même bretonne. Européens, américains atterrissent à quelques kilomètres de là et s’installent quelques jours afin de préparer une future expédition dans l’Himalaya proche.



Les agences de voyages y vendent la panoplie complète en matière de services de porteurs, de guides de montagne et de location de jeep avec chauffeur. Il suffit pourtant bien souvent d’un ticket de bus acheté en périphérie de la ville et d’un simple sac sur le dos pour partir dans l’heure sur les chemins d’altitude. On conserve étrangement cette indécrottable obsession de la sécurité, bien qu’à quelques milliers de kilomètres de chez soi, comme s’il fallait mettre de la mousse sur les contours du mot aventure.


Coincé entre les collines, Kathmandu respire un air pollué comme de nombreuses capitales mondiales. Les hippies ont disparu, Freak street s’est policé et on pourrait presque s’ennuyer à longer les commerces de vêtements de montagne remplis de contrefaçons de marques occidentales célèbres. Les « Flower children » désinhibés ont été remplacé par des touristes parfois trop sages débarqués tout frais rasés des capitales européennes.
« Les hippies étaient des voyageurs cosmiques, les routards sont des voyageurs dont la seule préoccupation est de savoir comment joindre les deux bouts, ce sont des pingres » racontait un professeur de littérature de Kathmandu, témoin de l’époque sacrée. Il n’a peut-être pas tout à fait tort, ce n’est pas nous qui marquerons l’histoire, le mythe a vécu, nous ne nous berçons plus que d’illusions et de légendes passées.


Ces lieux si emblématiques sont toujours très délicats à appréhender car si même, avant d’arriver on sait que Kathmandu, l’ensorceleuse, est partie en fumée depuis bien longtemps, on se surprend toujours à espérer croiser autre chose qu’une vitrine éclairée vendant quelques babioles que l’on posera sur les étagères au retour de vacances. On traîne alors un peu loin des artères lumineuses pour se perdre dans des ruelles plus sombres, on croise quelques chiens errants, des ombres silencieuses qui vous regardent en coin et puis on entend parfois dans notre dos, comme un sifflement « Hashhhhh ». Et même si on sait bien que l’histoire est finie, on ne peut s’empêcher de se raconter des histoires. « hashhhhh, Marijuana »… Allez Kathmandu, raconte-nous encore une épopée de voyages extraordinaires, de routes fabuleuses de poussières pour arriver jusqu’à toi ! Parle-nous encore des vagabonds lumineux, des aspirations insensées et des fumées célestes qui peuplaient tes rues. On a évidemment, en arpentant avec acharnement les ruelles étroites de la vieille cité, encore envie d’y croire. On espère toujours innocemment y croiser quelques « Flower children », comme la vision d’une jeunesse indécente et révoltée contre un monde occidental bien trop ennuyeux. Comme une jolie fleur poussant effrontément entre les pavés d’une ville mythique au pied de l’Himalaya. Après tout, on a bien le droit de rêver, c’est encore autorisé à Kathmandu.



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