Chambre 80, veille de départ.
Ce soir nous dormons dans une chambre d’hôtel.



Un brin rustique, plutôt ridé, fatigué d’avoir trop hébergé, c’est encore une fois notre plus beau logis parce que même si nous le connaissons qu’à peine, il nous donne un toit quelque part dans le monde sans poser trop de questions.
On ne le sait pas assez, ces chambres d’un soir sont des refuges sacrés qui hébergent derrière des portes en soie des fragments éblouissants de vies en mouvement.

Elles abritent bien souvent tout un fatras de naufrages discrets et parfois terribles, des rêves agités, des destins fracassés éparpillés dans les escaliers de service, l’espérance joyeuse de nouveaux départs avec en bandoulière l’inconnu, ce feu qui dévore. Il y déboule ici depuis la rue bruyante, des sacs à dos chargés d’histoires sombres ou réjouissantes, troublant d’un pas sûr le silence épais d’un couloir désert.


On y cultive la contrebande de liberté, les amours interdits aussi et de drôles de trafics d’instants d’éternité. C’est là entre ces murs anonymes que l’on complote, comme tant d’autres, en compagnie de la vie.
Ces piaules d’un jour sont nos royaumes de solitude, un répit au coeur du monde, un souffle posé sur une table de nuit bancale, une halte au milieu de nos fuites enchantées. Elles résument à la tombée de la nuit toutes nos vies sur dix mètres carrés de moquette élimée.
On se dit : Voilà aujourd’hui notre maison.



Demain la joie tapissera les murs pâles d’une fébrilité colorée propre aux jours de départs. Nous aurons certainement un peu peur car l’inconnu est toujours une drôle d’affaire à envisager.
Au fond de nous, on se dit que c’est pourtant une chance d’être déjà un peu vieux et d’avoir malgré tout encore un peu peur. C’est qu’on est sans doute encore vivant, peut-être.
Un doux frisson plane dans la chambre.
Demain, on se prendra à envier la légereté des aubes naissantes. Ce sera grisant, nous en sommes certains. Car nous ferons partie du voyage.

Ce qui pourra sonner alors comme une désertion en règle, une fuite par l’escalier de secours, une lubie de vieux adolescents, sera simplement en réalité une déclaration d’amour à la vie.
C’est vrai, on part peut-être parce qu’on est finalement juste amoureux…sinon pour quoi d’autre ?
Allez, on se casse !

Nantes, la nuit.
Le 04 mai 2025
Sandrine et Jean-Laurent

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