Sur la route du Pamir

Nous passons deux jours à Douchanbé pour visiter la ville et préparer nos affaires pour les jours qui suivent. Nous logeons dans le repère des bouffeurs de poussière, l’auberge du Green House. C’est là que quelques dizaines de jeunes gens se reposent, préparent leurs vélos, leurs motos ou leurs souliers avant d’affronter le Pamir. Nouveaux aventuriers de tous horizons, cette jeunesse est enthousiaste, un peu tête brûlée et surtout très belle.

Lorsque la température le permet, nous explorons la ville. Les grandes artères mènent toutes au centre, autour du palais présidentiel et du nouveau parlement construit par les chinois. Des parcs ordonnés autour de lacs et fontaines offrent l’ombre indispensable et des plages de repos quand il fait trop chaud. Comme Tachkent en Ouzbékistan, Douchanbé rêve de devenir la capitale de l’axe de la soie et construit immeubles et infrastructures à tour de bras sous crédit chinois. Personne ne sait encore si l’affaire sera rentable. On peut seulement observer que si la main russe a dû lâcher du lest, le peuple Han en a profité pour pousser ses pions à grande vitesse.

7h30, nous quittons le parking de Douchanbé où les 4X4 se préparent et harnachent solidement les sacs sur les galeries des toits. Nous étions arrivés aux aurores avec l’espoir de pouvoir monter dans un de ces véhicules surélevés et vitaminés sans avoir à négocier trop dur. Alors quand nous prenons la route, une musique tadjke entraînante dans les oreilles, en compagnie de six autres personnes, il y a forcément une émotion qui plane au-dessus du bitume. Le goudron commence à chauffer et nous, on décolle pour le Pamir.

Le Haut-Badakhchan, c’est un morceau de rêve dans lequel on voulait croquer depuis toujours. C’est une des routes les plus hautes du monde à l’instar de celle pour aller à Leh en Inde que nous avions empruntée il y a deux ans. Ce sont des paysages bruts et rudes entre le Tadjikistan et l’Afghanistan qui frôlent le sublime, c’est Salta en Argentine, le Ladakh aux confins de l’Himalaya, c’est un roman d’aventure qui promettait de décrotter nos routines en quelques centaines de kilomètres de pistes aux étoiles. Nous n’y étions pas encore mais nous en savions déjà tout. Et nous débutions l’histoire avec une joie mêlée d’excitation en démarrant ce matin.

En attendant le départ, un homme apprenant qu’on était français, entreprend de nous citer le panthéon de nos anciennes stars nationales de cinéma dont le nom est arrivé jusqu’au Tadjikistan. Il nous parle aussi du Pamir où il retourne du côté de Langar pour les congés. Il a été militaire là-bas au loin, sur la frontière avec l’Afghanistan. Une balle au genou et puis retour à la capitale. Il nous montre une vidéo de lui en hiver chassant un Marco Polo, un mouflon sauvage présent dans le Pamir. Les cornes torsadées étaient sans doute plus belles lorsqu’elles trônaient sur un animal debout.

Lors d’un arrêt, deux jeunes filles, robes aux couleurs chatoyantes, et sourires ravageurs, viennent quémander quelques pièces. Ce sont des Jogis, une communauté indienne originaire du nord de l’Inde. Ouvrant portes et fenêtres à la volée, poursuivi gentiment par notre chauffeur qui cherche à les chasser, elles n’ont de cesse, chipies, de tendre la main en souriant jusqu’à ce qu’on leur donne une pièce. Elles nous quittent en nous regardant par dessus le capot du camion, nous saluant une dernière fois, mutines, d’un large sourire de gitanes du pays tadjik.

Notre voisine de voyage, professeur de persan à Douchanbé, nous donne durant la route quelques explications sur les religions établies dans la région. Si les tadjiks sont sunnites, les habitants du Pamir sont chiites mais représentants de la branche minoritaire des ismaéliens. Ceci les rend entre autres raisons tout à fait particuliers aux yeux du reste du pays. Le Haut-Badakhchan possède aujourd’hui un statut autonome. La langue originale, la religion et un souffle d’autonomie exprimé à partir de 1992 scellèrent son destin.

La première partie du voyage traverse de grandes étendues arides où les enfants jouent à la balle sous un soleil aveuglant. Les ânes au repos disputent un coin d’ombre aux chèvres au poil long et sombre. Plus loin la terre rase, une fois les blés coupés, alterne avec des cultures encore vertes.

Nous nous faisons régulièrement arrêter par la police. Chaque fois notre chauffeur descend seul avec quelques pièces de monnaie dans la main. Les vieilles traditions ne se perdent pas partout, l’argent circule au gré des barrages.

A partir de Kulob, le 4×4 commence à prendre de la hauteur. 12h00, L’air chaud s’adoucit, le véhicule poussif grimpe malgré tout tranquillement au milieu d’un relief brulé.

Peu de temps après, un contrôle de notre permis Gbao par des militaires pour entrer dans la zone autonome signale que nous arrivons dans le Pamir. On longe ensuite rapidement sur plusieurs dizaines de kilomètres la rivière Panj qui délimite la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan.

En face, deux hommes creusent avec une pelle sur le bord de l’eau puis jettent le sable sur un tamis. Improbables chercheurs d’or afghans. S’ils gagnent cette fois, ils fuient de l’autre côté de la rivière. Nos voisins de virages nous confirment effectivement l’existence d’une mine d’or à cet endroit. Toujours côté afghan, la même piste que celle qu’on emprunte serpente en miroir à quelques mètres de nous à flancs de roche. On y voit de petites motos circuler avec souvent deux personnes dessus. Parfois une silhouette entièrement recouverte d’une burka noire à l’arrière de la moto fige le paysage dans nos yeux.

Côté tadjik, les chinois s’activent pour élargir la route et ainsi créer une connection directe avec leur propre réseau routier. Toujours cette vieille histoire des routes de la soie. La piste tadjike pourra bientôt ouvrir plus intensément le coeur du marché d’Asie centrale aux usines chinoises. On alterne entre chemins chaotiques et tronçons roulants de bitume neuf. Avant le passage des commerçants, vient encore aujourd’hui le temps des rêveurs de sentiers et de nids de poules.

Et puis on s’arrête. Pour une heure peut-être. Le chantier de la chaussée bloque la circulation à certains moments de la journée. Alors une file indienne de camions et de 4×4 s’empile au bord de la rivière. Les militaires tadjiks, armes dans le dos, patrouillent à pied, le regard porté vers l’Afghanistan. On passe le temps au milieu des montagnes en mangeant du raisin qu’une voiture du convoi négocie à bon prix. 17h00, si nous arrivons de nuit à Rushan, il faudra chercher une chambre à l’aveugle dans le bourg.

Nous arrivons à 22h00 dans les rues sombres de Rushan et sommes interpellés très rapidement par deux adolescentes espiègles qui par chance ont des parents louant des chambres. Nous ne dormirons pas dehors.

Dans la nuit, la lune éclaire la rive afghane à quelques mètres et découpe dans le ciel en ombres chinoises les hautes falaises nous encerclant. Plus bas, son reflet argenté se baigne dans la rivière Panj. On s’endort dans le Pamir.


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