
Lorsqu’on se rapproche de la fin d’une itinérance, le pied devient curieusement lourd. Il est certain qu’en continuant encore un peu droit devant, on pataugerait immédiatement dans l’allégresse. Mais l’horloge nous rappelle immanquablement notre condition de sédentaire, et si nous avons joué les nomades pendant quelques jours, il faut se résoudre à rejoindre son point de départ, là où tout a commencé et faire demi tour. Pour contrer les tristes mines et les coups de blues, on prend alors souvent la sage décision de continuer la route plus que jamais, d’emprunter n’importe quel sentier pourvu qu’il nous macule de poussière, de monter dans tous les taxis pourvu que les moteurs hurlent sur des rubans de bitume surchauffés par un soleil qui ne se couche presque jamais, de dormir dans le premier bouge qui passe sans choisir si notre voisin sera chiffonnier ou bien rupin, de goûter à tous les fruits et se brûler le palais d’épices exotiques. On décide plus que jamais de continuer à faire n’importe quoi.


C’est comme cela qu’une fin d’après-midi, nous nous sommes retrouvés sur le quai de la gare de Chiraz à monter dans un train à destination de Téhéran. Un périple de 15h00 débute durant lequel défile devant nos yeux le plateau iranien, allongés sur de confortables couchettes. Jusqu’au coucher du soleil, nous faisons nos adieux à Persépolis planté dans le désert, nous longeons les hauts reliefs des montagnes du Zagros. Sur les contreforts et dans des paysages de steppes, des nomades finissent d’installer leurs campements de toiles blanches. Plus tard, une nuit rythmée par le ronronnement du rail, enveloppée par quelques effluves de plats safrannés, se dessine pour tous les passagers du train, chacun devenant Princesse ou Prince d’Orient traversant son royaume. Nous avons décidé que Téhéran ne serait pas encore notre point final cette fois-ci. Nous allons remonter plus au nord pour aller chatouiller quelques montagnes sans vraiment savoir comment y arriver. Encore une fois, la serviabilité iranienne fait son oeuvre. Et notre voisine de couchette, en passant quelques appels téléphoniques, nous explique quel itinéraire suivre. La bouche pleine de fruits et de pâtisseries offerts par sa fille, notre plan devient plus précis autant que notre estomac s’alourdit. Le lendemain matin à Téhéran, après des discussions soutenues mais néanmoins amicales avec quelques dizaines de chauffeurs de taxi plus ou moins légaux, nous nous retrouvons à l’arrière d’une antique Peugeot sur des lacets de montagnes. Le moteur peine dans les côtes et la carcasse couine affreusement dans les descentes. Le chauffeur, une espèce de colosse au sourire ravageur, interpelle un policier pour savoir si le col que nous devons emprunter est ouvert en ce moment. Le policier utilise le mégaphone de son véhicule pour nous répondre, informant ainsi tout les automobilistes du carrefour. Nous cherchons la caméra cachée. La route passe de temps à autre du bitume à la piste sans explication. Jusqu’à être stoppée net par un monticule de terre. Un éboulis brise nos rêves d’altitude. Notre chauffeur, nous voyant déçus, lève les bras au ciel en remerciant Dieu d’être avec nous. C’est vrai que nous aurions pu être sous les roches en passant plus tôt avec une auto puissante. Peu importe donc puisque Dieu, les rochers et notre montagne de sourires qui nous sert de chauffeur nous ont mis là, nous y installerons notre campement. Début d’après midi, nos sacs trainent dans une chambre d’hôtel. Nous finissons un bout de galette de la veille accompagnée de fromage, d’amandes et de figues avant de repartir à pied par un sentier de montagne. Fin d’après midi, nous sommes à hauteur d’un col à près de 3000 mètres d’altitude. On entend les bêlements des moutons, les cloches des chèvres, on fait signe au berger. Plus bas on aperçoit notre village coincé au milieu d’une vallée verdoyante surplombée de quelques plaques de neiges éternelles.



Il y 24 heures, il y a mille kilomètres, nous quittions le désert du sud sur un coup de tête pour les montagnes du nord sans savoir que notre objectif, finalement, se réaliserait. Cela importait peu en somme. Nous avions surtout décidé de faire n’importe quoi et souhaité que cela dure encore un peu. Cela nous suffisait bien. Nous pensions à notre montagne de sourire qui nous servait de chauffeur, levant les bras au ciel en nous adressant un clin d’oeil complice, et remerciant Dieu d’être avec nous ! Seul cela importait peut-être. Nous étions vivants, prêts à continuer la route sur un coup de tête.


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