
C’est une vaste plaine, recouverte en partie par l’eau d’une retenue créée par l’homme. On y accède avant que la nuit ne tombe, par les pistes de latérite. Au milieu de ce paysage de savane, les virages, les bosses et les ornières « terre de sienne », surprennent l’oeil autant qu’ils secouent et inventent une géographie routière sanguine desservant l’immense territoire. Inventant la verticalité, les squelettes argentés d’arbres pétrifiés relient la terre au ciel. Le graphisme soigné et les jeux d’ombres, comme façonnés par un artiste contemporain, donne à chaque nouvelle rencontre la vue d’un chef d’oeuvre unique.


Et dans ce décor de premier jour, chacun trouve sa place. A sa taille, à sa mesure sans empiéter sur le territoire de l’autre. Si ce n’est pour se nourrir…de l’autre. Les guêpiers verts au plumage presque fluorescent virevoltent au-dessus de la piste. Un aigle huppé déploie ses ailes pour s’élancer vers un nouveau sommet. Partout des paons sauvages, robes bleues et strass verts font entendre de puissants « Léon Léon… ». Des buffles d’eau trempent dans une mare laiteuse sans se demander s’il faudra en sortir un jour. Et à la lisière de la jungle, à l’heure du loup, sortent les chacals dorés. L’heure de la chasse a sonné. Une ruche noire géante a pris position sous la branche d’un figuier également géant, envahi par des lianes grosses comme des boas enserrant une proie. Au bord de l’eau, un crocodile, la gueule ouverte refroidit son corps ou peut-être médite…


Et puis, massifs, nonchalants, les éléphants. Les éléphants sans chaînes, sans cornacs, sans touristes blancs sur le dos, sans grilles. Ceux des plaines et des broussailles, ceux des savanes et des buissons. Les éléphanteaux qui courent après leur mère, les éléphants qui se gavent d’herbes rases avec leurs trompes, les troupeaux d’éléphants, les vieux solitaires….les éléphants qui en imposent et nous laissent silencieux, en apnée par oubli de reprendre notre respiration… Un échassier dans l’eau, plumes colorées, long bec effilé noir, s’est mis en tête de s’attaquer à la rude carapace d’une tortue. Plus haut, un caméléon coquet s’évertue à accorder le gris de son costume à celui de la branche sur laquelle il contemple, impassible, son monde. Un monde parfait. Quant à nous, pauvres étrangers perdus dans la jungle, les pieds un peu hors sol, sans racines pour nous maintenir, sans dieux pour nous rassurer, il ne nous reste plus qu’à s’avouer vaincus. En pensant que jamais un building, si haut et majestueux soit-il, ne pourra égaler ce sentiment de puissance absolue et cette élégance inouïe qu’offre ce soir à nos sens, le spectacle de la nature.



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