Une jetée sur l’océan

S’il fallait choisir un point de vue, c’est sans doute depuis le bout de la jetée, au milieu d’un océan houleux, que nous aimerions observer Swakopmund. L’édifice fût construit par les allemands à l’époque coloniale au début du vingtième siècle, souhaitant alors faire de la ville un site de débarquement pour s’y installer. L’absence d’eau profonde et la violence de la mer dû les contraindre à concevoir cette jetée aux fondations de bois puis de métal, longue aujourd’hui de trois cents mètres et désormais emblème de cette ville de bord de mer.

Swakopmund, aux traces d’histoires germaniques et au nom imprononçable, est avant tout une attachante cité balnéaire. Lorsque nous nous inquiétons de la météo maussade et du brouillard qui pèse sur la ville, notre hôtesse explique que Swakopmund connaît quatre saisons en un jour. Les bretons que nous sommes devront reconnaitre que cette maxime, mille fois entendu de Rennes à Quimper, n’est en tout état de cause, pas l’apanage exclusif de la terre armoricaine. Bretagne est univers, certes, mais elle n’est pas seule.

En restant dans le prolongement du ponton, on entre dans le centre ville par l’avenue Libertina Amathila, combattante de l’indépendance, première femme médecin et politicienne au destin national. Quadrillée par de larges avenues, presque démesurées en comparaison du nombre de véhicules y circulant, la ville aligne des rues adjacentes en sable damé, ce qui en rajoute à l’atmosphère presque estivale de nos déambulations, bien que nous soyons en hiver.

Au sud, les rues déboulent sur des dunes de sable où un halo jaunâtre colore le ciel lorsque le brouillard marin s’en mêle. Depuis les planches en bois, on voit le soir les dunes dorées, alanguies, descendre vers la mer, rappelant la proximité immédiate du désert du Namib à la sortie de la ville.

Côté nord, une longue promenade de bord de mer longe des maisons cossues aux vitres tournées vers l’océan froid, infatigable. Juste avant cela, un alignement de palmiers denses et sombres encercle le phare de la côte. La puissante armée de palmes, postés face aux vagues, semblent protégés l’édifice de brique, peint de rouge et de blanc depuis sa création en 1903.

En front de mer et dans le centre, des maisons colorées évoquent certaines stations balnéaires européennes du nord et les façades historiques coloniales confortent cette impression de n’être plus tout à fait en Afrique. La bruine et les embruns marins collant au visage achèvent de nous désorienter définitivement.

Swakopmund se réveille dans un brouillard épais, s’agite le midi sous un soleil au zénith, puis brusquement se recroqueville dans un concert de nuages menaçants. Swakopmund balance constamment entre chemise d’été et polaire des grands soirs, ne veut rien choisir du sable dunaire immortel ou de l’eau salée caractérielle. Swakopmund est l’européenne de l’Afrique de la côte sud-ouest, où l’on parle allemand, ou bien simplement une Afrique ouverte au monde, accueillant qui veut sur un territoire infini. Swakopmund ne veut pas choisir et laisse le soin à ses visiteurs de faire comme bon leur semble. Et il est jubilatoire de faire des virées sans fin à pied, depuis les dunes jusqu’à l’océan, sous la bruine ou accablé de soleil, sous le regard pénétrant de l’histoire, mis en relief par d’imposantes bâtisses en bois colorés. Swakopmund a une mémoire écrasante mais vous promène avec légèreté et insouciance le soir sur sa jetée.

Lorsque nous passions en fin de journée, l’interminable passerelle en bois, élancée vers des ailleurs indécis, secouée par la mer, d’où jaillissait parfois en paquets, des flots d’écume sous nos pas, nous pensions à ce qui nous avait amené jusqu’ici, à glisser sur des planches humides et chancelantes de ce côté de l’Atlantique.

Une idée légère en était, en partie, la responsable.

Les symboles sont ce carburant immatériel qui nous fait avancer, tout autant que nos jambes. Ils sont cette part de rêve qui donne sens à nos routes et amènent de la poésie là où il ne pourrait y avoir que du bitume.

Lorsque nous étions sur la plage de Zanzibar, les pieds dans l’eau, nous avions trouvé qu’aller voir la mer serait une excellente idée. Et c’est cette envie très absurde qui nous fit prendre nos sacs et emprunter cette route oblique africaine. Nous avions décidé de traverser l’Afrique australe, de l’océan Indien jusqu’à l’Atlantique, sans en connaître encore précisément le chemin.

Ce soir, sur la plage de sable rouge de Swakopmund, le roulis de l’océan efface les pas derrière nous. Des hommes tirent sur une amarre et sortent un bateau de l’eau. A quelques mètres de là, deux dauphins jouent dans les ondulations des vagues. Le vent d’hiver déferle sur les visages, tandis qu’un halo de sable irisé s’élève dans le ciel et signale la proximité des dunes du Namib.

Des eaux turquoises de Zanzibar à la colère de l’océan de Swakopmund, il n’y a rien qu’un peu de poussière, d’innombrables acacias dans la savane et presqu’autant de chemins, des chants puissants ensoleillés et puis quelques fragments de vie.

Swakopmund est l’extrémité de cet extraordinaire fil fragile, tendu pour deux funambules, qui n’existe déjà plus, un rêve évaporé. Juste un symbole et cela suffit bien.


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